Pour une citoyenneté une et indivisible

L’adoption par le Sénat, le 8 décembre, de la proposition de loi constitutionnelle concernant le droit de vote et l’éligibilité des étrangers non communautaires aux élections municipales répond, si l’on suit les arguments avancés par la gauche lors du débat, à un impératif moral autant qu’à une nécessité « progressiste » et un alignement sur « ce qui se fait déjà à l’étranger ». De plus, la promesse en ayant été faite dans les « 110 propositions » du candidat Mitterrand en 1981 et jamais tenue depuis, elle doit l’être maintenant.

Si on laisse de côté l’argument étrange des « 110 propositions » – quid en effet des autres propositions jamais mises en œuvre ? va-t-on aussi vouloir les honorer à tout prix ? ce texte est-il devenu une sorte de « table de la loi » de la gauche française pour des siècles ? –, on conviendra en revanche du côté humaniste de l’argument suivant lequel des étrangers vivant depuis longtemps en France et parfaitement intégrés devraient pouvoir participer aux décisions qui les concernent au même titre qu’un citoyen français.

Mais alors une question se pose immédiatement : pourquoi limiter le droit de vote aux élections municipales ? L’intégration à la vie du pays dans lequel on s’est installé durablement est difficilement divisible en tranches. Pourquoi privilégier le niveau municipal par rapport à celui du département ou de la région ? Cesse-t-on, par exemple, d’être concerné comme parent d’élève lorsque son enfant passe du primaire au secondaire ? Elire le député (participer à une élection nationale donc) de sa circonscription aurait-il moins de conséquences sur la vie quotidienne que d’élire le maire de sa commune – surtout si celle-ci est de petite taille ? On voit, au passage, que l’argument parfois évoqué de l’impôt comme signe de la nécessité électorale est tout à fait spécieux dans un tel débat : un citoyen paie-t-il davantage d’impôts au niveau local (municipal…) qu’au niveau national ? Et en quoi la représentation serait-elle liée au fait de payer des impôts puisque bien des citoyens français sont exonérés d’une partie d’entre eux ?[1]

Bref, on sent bien qu’il faut chercher ailleurs la justification de l’empressement à gauche d’inscrire à l’ordre du jour du Sénat le vote d’une telle mesure. Il s’agit avant tout d’un geste  symbolique. Un symbole que l’on considérera ici comme bien mal choisi et, circonstance aggravante, brandi au pire moment, alors qu’une campagne présidentielle difficile s’annonce. Et ce, pour plusieurs raisons

Première raison, de fond : une telle mesure est contraire au droit politique républicain ; elle nie la signification même de ce qu’est la République « à la française ». Le lien entre citoyenneté et nationalité est en effet la pierre angulaire de l’affirmation du peuple français comme communauté de citoyens (et non plus de sujets !) libres et égaux. La nation française étant née comme projet politique et non culturel ou identitaire : on est Français parce qu’on est citoyen comme on est citoyen parce qu’on est Français. Il ne peut donc y avoir de demi-mesure, de semi-citoyenneté – à raison d’une limitation territoriale par exemple –, de degré dans celle-ci.

La création d’une citoyenneté à deux vitesses sur le territoire national risquant d’entraîner, à terme, un ensemble de conséquences difficiles à conjurer. Ainsi l’ouverture de revendications de tous ordres en termes de « distinction territoriale », surtout si une telle conception différentialiste de la citoyenneté venait à s’articuler à de nouvelles « avancées » de la décentralisation ou de la régionalisation. Pourquoi, par exemple, des corps de citoyens différenciés ne voteraient pas dans des collèges électoraux différents (comme aux élections professionnelles) ou sur des matières différentes au regard des compétences spécifiques des différentes collectivités ? Et on laisse ici volontairement de côté les autres conséquences attendues et mieux connues d’une telle mesure comme la participation de citoyens étrangers, élus municipaux, à l’élection des sénateurs français.

La solution « à la française » au maintien du lien intangible entre nationalité et citoyenneté est connue : l’étranger qui veut devenir citoyen le peut en devenant français. Le problème aujourd’hui est politique et non constitutionnel. Le gouvernement actuel qui s’est habilement drapé dans ce principe à l’occasion du débat qui vient d’avoir lieu n’en respecte pas les fondements. Non seulement il refuse le droit de vote local aux étrangers mais, dans le même temps, il durcit les conditions d’accès à la nationalité – notamment à partir de critères économiques et sociaux désormais, en plus des autres, puisqu’il faut prouver un certain niveau de revenus et de vie pour prétendre devenir Français ! La majorité actuelle et le président de la République qui s’étaient un temps prononcés pour le droit de vote local, jouent donc avec le feu en défaisant le droit républicain ; mettant ainsi à mal la bonne foi et l’attachement au principe républicain de ceux qui ne veulent pas abdiquer la spécificité française des conditions de l’émancipation par le projet civique.

Si la droite se dit hostile à cette mesure aujourd’hui, c’est pour d’évidentes raisons tactiques : elle laisse la gauche en prendre la responsabilité devant l’opinion ; elle instrumentalise grossièrement ce débat afin de séduire l’électorat qui s’échappe vers le Front national. Mais nul n’est obligé, à gauche, de tomber dans un tel piège ! D’ailleurs, demain, une fois la mesure adoptée par une majorité de gauche, si la droite revient à son tour au pouvoir, imagine-t-on un seul instant qu’elle reviendra sur cette mesure ? Non bien sûr, elle s’appuiera au contraire dessus pour durcir encore plus, comme elle l’a toujours fait, les conditions d’accès à la nationalité. Elle disposera alors d’un argument en or : quel besoin y’a-t-il de faciliter l’accès à la nationalité dès lors que les étrangers peuvent se contenter d’être des semi-citoyens ? Le « droit du sang » pourrait bien alors revenir dans le jeu plus aisément encore derrière un tel raisonnement. Les autres pays européens, ces exemples mis en avant par la gauche aujourd’hui, qui ont le plus volontiers et facilement adopté le droit de vote des étrangers aux élections locales sont aussi ceux qui ont un « code » de la nationalité fondé sur ce « droit du sang » si contraire à la tradition française de nation civique fondée avant tout sur le « droit du sol ».

Deuxième raison, l’idée présentée ici de bonne foi comme l’extension d’un droit renvoie à une logique de l’hyper-individualisme que la gauche combat pourtant par ailleurs. Il ne faut pas oublier que l’individualisation du droit à l’œuvre ici, si elle est nécessaire bien sûr à l’émancipation du sujet, est aussi celle du marché, et donc, structurellement, de l’inégalité naturelle transposée dans la société – sans besoin d’une régulation collective contraignante si l’on suit la théorie libérale. Ainsi, sous prétexte de favoriser le droit, la liberté de chacun et la pluralité du choix de sa relation à la citoyenneté, on fait de celle-ci le lieu d’un rapport de consommation et d’intérêt, et non plus seulement de participation et de responsabilité. L’attachement au droit politique républicain « à la française » et à sa conséquence en matière de citoyenneté est aussi lié à un souci de ne pas céder totalement à la marchandisation du rapport de l’individu à son environnement et, hélas, à ses droits. C’est toute la différence entre la liberté républicaine et la liberté libérale qui devrait rester une boussole philosophique pour la gauche.

Troisième raison de considérer l’adoption de cette mesure comme une mauvaise idée : la gauche espère visiblement que le droit de vote des étrangers lui permettra de gagner des voix localement. On ne peut qu’être réservé sur un tel raisonnement électoral. D’abord parce que rien n’indique ni dans les fameux « exemples étrangers » ni dans le comportement électoral des populations issues de l’immigration récentes mais devenues françaises que la participation des étrangers aux élections serait élevée. C’est même plutôt l’inverse qui risque de se produire. Ensuite parce que ceux de ces nouveaux électeurs qui se déplaceront ne voteront pas nécessairement à gauche. Les études dont on dispose depuis longtemps, aux Etats-Unis notamment, sur le comportement électoral des immigrants récents conduit généralement à l’observation d’une une prime accordée aux partis et aux élus qui mettent en avant l’assimilation, le goût de l’effort et de la réussite individuelle, l’esprit d’entreprise, l’importance du mérite et de la compétition… Toutes choses qui ne figurent pas aujourd’hui de manière explicite, pour dire le moins, dans les programmes de la gauche. Enfin, l’argument, utilisé ad nauseam par la droite et le Front national, dans ce débat, du risque d’un vote communautariste mobilisable par des groupes islamistes, s’il n’est sans doute pas le danger redoutable qu’ils décrivent peut en revanche toujours exister. Sans même parler d’islamisme, si jamais des élus municipaux étrangers venaient à représenter telle ou telle « communauté » constituée à raison de son origine ethno-raciale ou religieuse, le droit de vote des étrangers aurait simplement manqué son objectif proclamé d’une meilleure intégration des étrangers.

Quatrième raison d’être réticent à une telle mesure : son instrumentalisation précisément par la droite et le FN dans le cadre de la présidentielle cette fois. En effet, au moment où le défi prioritaire pour la gauche est celui de la reconquête d’une partie au moins des catégories populaires pour non seulement espérer gagner mais encore gouverner dans de bonnes conditions un pays soumis à des bouleversements historiques, envoyer le signal que l’une des mesures symboliques essentielles de la différenciation gauche-droite est le droit de vote des étrangers aux élections locales n’est pas d’une grande habileté. La question légitime qui vient immédiatement à l’esprit étant toute simple : la gauche n’a-t-elle rien d’autre à proposer en ce moment aux Français qu’une telle mesure ? Outre les enjeux économiques et sociaux, l’inquiétude qui se diffuse sur le « vivre-ensemble », sur ce que signifie aujourd’hui « être français », sur l’unité nationale au-delà des clivages pour faire front face aux difficultés qui s’accumulent, etc. Tout signale l’inanité de la mise en exergue d’une différenciation entre citoyens.

Des décennies (des siècles !) de lutte pour faire vivre le lien entre nationalité et citoyenneté (suffrage universel, vote des femmes…) peuvent difficilement être jetés ainsi dans les poubelles de l’Histoire au prétexte d’une lutte politique symbolique hic et nunc. Dans cette affaire, on n’est pas nécessairement de droite parce qu’on tient spécialement à ce lien, et on n’est pas davantage de gauche parce qu’on voudrait le briser… L’histoire de la République, les combats menés en son nom et pour la réalisation pleine et entière de sa promesse d’émancipation ne sont pas ceux d’un camp ou de l’autre. Pourtant la gauche y a pris plus que sa part, et au nom de celle-ci, s’il ne fallait qu’un argument, final, contre la mesure discutée ici, ce serait de ne pas laisser l’héritage républicain tomber dans des mains aussi mal intentionnées que celles qui s’en déjà trop facilement saisi ces dernières années.

La citoyenneté française est comme la République, dont elle est une incarnation pratique et immédiate dans la vie de chacun, une et indivisible. N’en déplaise à ses détracteurs comme à ses manipulateurs. Ce serait donc l’honneur de la gauche française de la défendre plutôt que de l’affaiblir.

Note

[1] Autre argument que l’on peut écarter tout aussi facilement, celui d’un nécessaire alignement de la situation des non-ressortissants de l’Union européenne sur le statut de ceux de l’UE : pour ces derniers, le droit de vote aux élections municipales et européennes est la conséquence de la signature par la France d’un traité et de la création d’une « citoyenneté européenne » (dans laquelle la clause de réciprocité est d’ailleurs centrale). Rien à voir  donc avec la situation des ressortissants des autres pays.

Droite Gauche Politique

Laurent Bouvet View All →

Professeur de théorie et d’histoire des idées politiques à l’Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines.

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  1. « Première raison, de fond : une telle mesure est contraire au droit politique républicain ; elle nie la signification même de ce qu’est la République « à la française ». Le lien entre citoyenneté et nationalité est en effet la pierre angulaire de l’affirmation du peuple français comme communauté de citoyens (et non plus de sujets !) libres et égaux. La nation française étant née comme projet politique et non culturel ou identitaire : on est Français parce qu’on est citoyen comme on est citoyen parce qu’on est Français. »

    Permettez moi de m’inscrire en faux, la première constitution républicaine française, la constitution de l’an I, donnait le droit de vote aux étrangers, ou plus exactement la citoyenneté aux étrangers selon certaine condition.

    Article 4.
    – Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ;
    – Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année
    – Y vit de son travail
    – Ou acquiert une propriété
    – Ou épouse une Française
    – Ou adopte un enfant
    – Ou nourrit un vieillard ;
    – Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité

    – Est admis à l’exercice des Droits de citoyen français.

  2. Oui, certes, je connais bien et ce texte et cette période mais comme vous le savez, il a été adopté dans des circonstances très particulières (celles de la guerre, extérieure et civile, et du besoin de la République de donner la citoyenneté à ceux qui sont prêts à la défendre) et… jamais appliqué. Il n’invalide en rien le principe fondamental du lien entre nation (l’émancipation par rapport au roi) et citoyenneté (l’adhésion au projet commun).

  3. Cher Professeur, à la lecture de votre texte, on comprend bien que vous préfèreriez faciliter l’accès à la nationalité tout en refusant le droit de vote aux étrangers hors UE, plutôt de leur accorder un droit de vote tout en leur durcissant l’accès à la nationalité française.
    Cela amène à dire que vous préférez le vote d’un étranger naturalisé (parce qu’il est « citoyen français » au vote d’un étranger non naturalisé et en situation régulière !

    Avant d’exposer mes idées, j’en profite pour rappeler que jusqu’en 1973, il fallait en plus du fait d’être « citoyen français » attendre 5 ans pour l’étranger fraîchement naturalisé pour lui être reconnu le droit de voter en France !

    Dans votre texte, vous rejetez les fantasmes politiques du FN et de la droite liés au droit de vote des étrangers tout en évoquant néanmoins la possible existence d’un vote communautariste et de ses méfaits. Ce serait là, selon vous, l’échec de l’objectif proclamé du droit de vote des étrangers en France qui consiste à dire que le droit de vote étranger aiderait à une meilleure intégration dans la société française.
    Mais, cher Professeur, pensez-vous que le fait de naturaliser un étranger lui enlève l’aspect communautariste de son vote ? Et j’irai même plus loin en vous demandant si le vote communautariste ne perdure pas après un saut de génération (le vote des enfants avec des parents naturalisés).
    De plus, il convient de préciser que le vote communautariste a toujours existé en France sans parler d’étrangers. Pensez-vous un seul instant qu’on puisse faire élire un candidat français d’origine maghrébine, pour ne pas dire un Français « goï » face à un Français de confession juive aux élections cantonales dans le quartier des commerçants à Nice ou dans d’autres villes ??? Pensez-vous pouvoir faire élire un candidat français d’origine étrangère dans la « France profonde » ou la « France d’en bas » de Raffarin ???
    Dans un registre plus identitaire, si l’on considère que l’identité locale peut former une communauté et constituer un vote communautariste, les Nissarts purs et durs menaient dans le temps une campagne politique anti Jacques Peyrat (« l’Estoufa Gari ») dans le journal local le Petit Niçois. Le journal mettait en exergue le fait que l’ancien maire de Nice n’était pas né à Nice ! Ce journal invitait en 2005 les niçois à boycotter aux prochaines élections municipales le non-niçois Jacques Peyrat ! Tous ceux qui ont voté en 2008 pour Christian Estrosi à la tête de la Ville de Nice parce qu’il est niçois contre Jacques Peyrat qui ne l’est pas, l’ont fait sous la forme d’un vote communautariste (la communauté des niçois !)
    Par extrapolation, on peut dire qu’une communauté peut également exister sur des critères économiques, on parlera là de la ‘communauté des riches’ avec son vote adjacent. Il semble évident qu’il serait difficile de faire élire un candidat issu de la diversité et/ou des quartiers à la tête de la Ville de Neuilly sur Seine face à un candidat issu du milieu des Affaires.
    Outre le fait que le vote communautariste existe déjà, il convient de rappeler que le vote communautariste reste néanmoins un vote démocratiquement acceptable ! C’est bien dans votre cours, cher Professeur, que j’ai appris que la démocratie a cette force et cette dynamique de pouvoir intégrer à l’intérieur d’elle-même ceux qui se reconnaissent et ceux qui ne se reconnaissent pas dans la démocratie !
    Si une composante de la population française ou des étrangers ayant le droit de vote devaient exprimer leur droit civique envers un candidat ayant des motivations relavant du registre de l’islamisme radical, alors on se doit malheureusement d’accepter ce choix dans l’espace démocratique qu’est la nation française. Dans le cas contraire, cela reviendrait à dire qu’on aurait du interdire depuis longtemps le FN (pour éviter le vote du programme FN relevant souvent dû registre de la xénophobie, donc aussi politiquement infecte que l’islamisme radical), voire interdire l’UMP également car leur projet politique (notamment en matière de politique d’immigration) ne relève plus du tout du projet politique à l’origine de la nation française (le ‘vivre ensemble’ exprimé par les trois piliers que sont Liberté, Egalité et Fraternité) !
    Revenons maintenant sur cette phrase dans votre texte : « le droit de vote des étrangers aurait simplement manqué son objectif proclamé d’une meilleure intégration des étrangers »
    Ce n’est pas parce qu’on EST ou qu’on DEVIENT Français qu’on est plus intégré à la société française. Il n’y a aucune corrélation démontrée entre le fait d’être Français tel qu’on le décrit ici et qui relève d’une notion politique, et le fait d’être intégré qui relève d’une notion sociologique (qui de surcroit n’a aucune définition exacte) !
    A titre d’exemple, le prix Nobel de littérature 2008, mon compatriote et ami, JMG Le Clézio ; que la France s’est urgée de vanter comme le prix Nobel FRANÇAIS de littérature ; se considère lui-même comme « de culture mauricienne et de langue française » (cf. l’entretien avec Tirthankar Chanda, d’Écrivains d’aujourd’hui en 2001 et le roman de JMG Le Clézio en 1985, ‘Le chercheur d’Or’ qui est l’apogée de son attachement à la culture mauricienne. Rappelons que JMG Le Clézio descend d’une des plus grandes et des plus anciennes familles mauriciennes) !
    Y-a-il une grande différence d’intégration ou d’attachement culturel entre JMG Le Clézio qui est né à Nice mais qui se dit de culture mauricienne et moi-même, né à l’Ile Maurice qui se dit de culture niçoise ???
    Pour aller plus loin dans le débat, je me demande si l’on a réellement besoin d’être naturalisé pour être bien intégré, pour ne pas dire être « le parfait petit Français » ???
    Est-ce qu’Aamin Maalouf, l’exilé du Liban, aurait été moins apte pour son siège à l’Académie française s’il n’avait pas la nationalité française ???
    Pensez-vous un seul instant que le turc Edouard Balladur aurait été moins apte pour une aussi grande carrière politique (qu’on l’apprécie ou pas) s’il n’avait pas la nationalité française ? La nationalité lui a donné uniquement la possibilité politique et administrative de faire une carrière politique. Son aptitude intellectuelle pour cette carrière provient de ses études et de son vécu en France et c’est justement en fonction de ce vécu en France qu’il faudrait donner le droit de vote aux étrangers sur le sol français pas par le fait de posséder un passeport français !
    Un peu plus loin dans votre texte, vous dites : « La nation française étant née comme projet politique et non culturel ou identitaire : on est Français parce qu’on est citoyen comme on est citoyen parce qu’on est Français.» !
    La symétrie entre le mot « citoyen » et « être Français » est malheureusement un raccourci trop simpliste pour défendre le concept de projet politique à l’origine de la nation française ! Sans compter qu’elle laisse sous-entendre que les criminels ou autres condamnés ne disposant plus de leurs droits civiques ne seraient pas/plus des Français car être citoyen, passe aujourd’hui, en grande partie par le fait de posséder sa carte d’électeur ! D’ailleurs, vous liez intimement dans votre texte l’accès à la carte d’électeur (donc au vote) au concept de citoyenneté dans ce débat sur le droit de vote des étrangers.
    Cela m’amène également à vous dire que la notion de « la création d’une citoyenneté à deux vitesses » que vous évoquez dans votre texte et de ses « conséquences difficile à conjurer » ainsi que la notion de « semi-citoyen », existent en réalité déjà au sein de la nation française avec l’exemple dont je viens de vous citer sur les criminels et autres condamnés privés de leurs droits civiques !
    Les étrangers sur le sol français font bel et bien partie du projet politique sur lequel est née la nation française. Ils sont à l’intérieur de ce projet politique du simple fait qu’on les considère politiquement (protection, assistance), qu’on vote des lois quant à leurs statuts, qu’on leur impose des devoirs (respecter la loi applicable en France, payer les impôts) et qu’on leur délivre des titres (d’identité) en fonction de leurs séjours respectifs. Pour faire plus simple et pour démontrer comment les étrangers sont bel et bien dans le projet politique à la base de la nation française, on peut prendre l’exemple de l’extra-terrestre qui ne fait pas partie du projet politique car il n’y a pas de statut ou de carte de séjour régissant sa liberté de circulation en France … on ne vote pas de lois pour les extra-terrestres !
    A la fin de votre texte, sur les ressortissants européens (UE) qui peuvent voter aux élections municipales et européennes, vous évoquez le fait que c’est la conséquence de la signature par la France d’un traité et de la création d’une « citoyenneté européenne ». Sans étendre le débat sur ce que veut dire « la citoyenneté européenne », je voudrais juste rappeler que la France a également sa signature dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Les étrangers qui payent des impôts et qui contribuent à la richesse nationale ne peuvent, contrairement à l’article 14 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, constater la nécessité de cette contribution publique puisqu’ils ne peuvent pas élire de représentants ! Donc, justifier un droit de vote par un traité et refuser un autre droit de vote tout en étant en contradiction avec un principe posé par une Déclaration de telle importance, me semble être politiquement peu sérieux !
    Les étrangers votent déjà aux élections des représentants du personnel (1946) et bénéficient depuis 1968 d’une éligibilité comme délégués syndicaux. Les étrangers votent aux élections prud’homales (1982), des comités d’entreprise (1972,1975,1982), des conseils d’administration des établissements publics gérant des logements sociaux (OPAC et OPHLM) (1982), des conseils d’administration des caisses de sécurité sociale (1982), des conseils d’écoles maternelles, primaires, des collèges et des lycées et dans les instances de gestion des universités à l’exception de la Présidence !

    Pour autant, on a jamais vu ni la naissance et ni l’existence des poussées communautaristes dans les CA des offices HLM et dans les élections aux Prud’hommes comme vous semblez appréhender dans le cas où on accorderait un droit de vote aux étrangers en France. Il n’y a pas eu non plus le fameuse crainte de la naissance d’une différenciation de « vote de français de souche » et « vote étranger » comme l’appréhendais Patrick Weil dans son livre « La France et ses étrangers » (qui rejoint complètement votre analyse sur le fait que la nationalité soit totalement liée au concept de citoyenneté).

    Pourquoi empêcher donc l’évolution politique du vote en leur refusant un droit de vote que ce soit au niveau local et au niveau national ???

    Je n’ai pas trouvé dans votre analyse votre position sur les réfugiés politiques en France. Allons-nous continuer à les laisser dans le même silence politique que dans leurs pays d’origines, où un régime autoritaire réduisait leur droit de vote à néant ??? Je pense ici particulièrement à ces nombreux et brillants opposants politiques iraniens qui doivent continuer à vivre en France dans la même frustration politique de l’impossibilité de participer à la vie politique.

    Enfin, pour finir mon analyse, je voudrais juste ajouter que je suis étranger vivant en France depuis 15 ans avec un titre de séjour renouvelable tous les ans ! Pensez-vous, aux vues de tout ce que je viens de dire, que je suis apte à voter et exprimer un choix politique en France ou pas ? Ou devrais-je impérativement épouser la nationalité française pour pouvoir bénéficier du précieux sésame politique qu’est la carte d’électeur ?

    Cordialement,
    Sanjeev Radhay

  4. Signalons que le Baron Cloots fut député de la convention et Prussien, il avait été fait citoyen mais était resté Prussien, au printemps 1794, il sera arrété comme étranger, puis exécuté.

  5. La République Française est une communauté de citoyens selon la conception des pères fondateurs de la première république, il distingue cependant les français et les citoyens. Cette conception explique la formulation de l’article IV de la constitution. On peut donc être citoyen sans être français, par conséquent affirmer que « Le lien entre citoyenneté et nationalité est en effet la pierre angulaire de l’affirmation du peuple français comme communauté de citoyens » est au moins un raccourci.

  6. Pendant la Révolution, avant même la République, il y a plusieurs types de citoyens dans l’ensemble national (souverain au sens de Sieyès) puisqu’il y a plusieurs degrés de citoyenneté et aussi le Roi. De même que les circonstances particulières de l’élaboration de la Constitution de 1793 conduisent à une définition élargie de la citoyenneté au-delà du fait d’être Français – le droit de la nationalité n’étant pas clairement défini. Mais cela ne change rien au fait que les deux notions vont se mettre en place peu à peu, dans la pensée puis dans la loi républicaines, en se superposant. Cela sera réalisé pleinement avec la IIIe République.

  7. Merci pour cet excellent exposé qui a le mérite de poser le débat de façon non partisane (le droit de vote ne saurait l’être!) tout en rappelant aux partis, et aux citoyens qu’ils doivent représenter, qu’il ne suffit pas de lancer de belles idées humanistes pour institutionnaliser l’humanisme et que le principe fondateur de cette institutionnalisation, c’est celui de la République moderne représentative : la liberté y est celle de se gouverner soi-même et de respecter les lois qu’on s’est données en les votant (par l’intermédiaire de nos représentants) mais pour les voter, il faut bien adhérer à un corpus fondamental auxquelles elles se rattachent (la Constitution, les valeurs et les principes républicains)….et oui, être citoyen, ce n’est pas uniquement voter même si lorsqu’on est citoyen, alors, on peut voter. Aussi, commencer par la fin de l’histoire en parlant du droit de vote, c’est omettre de se poser la question fondamentale de l’adhésion au projet commun…ce n’est pas qu’une erreur théorique, cela signifie peut-être aussi que le projet commun ne compte plus, mais est-ce tenable?

  8. Le droit de vote accordé aux étrangers « communautaires » pour les élections locales est une aberration. Et l’on voit bien à quoi peut servir une telle aberration lorsqu’on note qu’en Belgique, par exemple, il a servi à néerlandiser de force les habitants des Fourons, en les transférant à la province du Limbourg, suite au droit de vote accordé aux Néerlandais de Maëstricht qui, manquant de place chez eux, et désireux de payer des impôts locaux plus faibles, sont allés s’établir dans ce qui était un morceau de la Province de Liège. Cette mesure mettrait donc la France sur une pente communautariste extrêmement dangereuse. Quant à une soi-disant « citoyenneté européenne », il s’agit surtout d’une magouille pour refuser aux peuples le droit de disposer d’eux-mêmes. Enfin, à la limite, je dis bien à la limite, il serait préférable de donner le droit de vote à un Sénégalais pétri de culture française, dont les ancêtres des Quatre Communes (Gorée, Dakar, Rufisque, Saint-Louis-du-Sénégal) rédigeaient des Cahiers de Doléances en 1789, plutôt qu’à un Anglais ou à un Hollandais nommés par hasard en France pour quelques années par une multinationale, qui ne parlent qu’anglais, ne veulent pas apprendre le français et ne s’intègrent en aucune manière.

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