La candidate verte ne mûrira pas

Eva Joly, candidate d’Europe-Ecologie-Les Verts à l’élection présidentielle de 2012 vient, coup sur coup, de sortir deux énormités. Deux de plus ajouteront les observateurs attentifs d’une campagne que la candidate fait visiblement tout pour faire entrer dans le Guinness Book des records.

Première sortie, le 7 novembre, lorsqu’elle a déclaré : « Si François Hollande dit ‘non’ pour arrêter le chantier de Flamanville, il n’y aura pas d’accord. », à quoi elle a ajouté que « L’accord avec le PS doit intervenir avant notre conseil fédéral du 19 novembre. Au-delà du 19 novembre, il n’y a plus d’accord ».

Où l’on voit, dans l’étalage de ses exceptionnelles qualités de négociatrice, combien elle plonge dans l’embarras son parti en pleine négociation électorale avec le PS et qui va être obligé de manger son chapeau sur l’EPR pour sauver quelques circonscriptions (dont celle de sa chef Cécile Duflot). Quelqu’un aurait dû expliquer à Eva Joly que l’évocation du nucléaire dans la doctrine de la dissuasion dite « du faible au fort » ne servait pas à affaiblir encore un peu plus… le faible.

Deuxième moment-clef de la campagne d’Eva Joly en moins de quatre jours, le 11 novembre. Déposant une gerbe (dont il n’a pas été précisé si elle était bio ou non) en hommage aux « mutins de 1917 » au « Mur de la Paix » à Paris, elle a dit : « Je voudrais que nous transformions le 11 novembre en une journée européenne de la paix, que nous arrêtions de penser que c’est l’Allemagne qui a perdu la guerre, que c’est la France qui l’a gagnée, et que nous nous concentrions sur l’essentiel, l’espoir européen […] Au-delà des réfractaires à la guerre, des dizaines de millions de victimes de cette guerre appartiennent dans l’immense majorité au peuple européen. »

Elle réédite ainsi son exploit du 14 juillet dernier, démontrant qu’elle n’a rien compris ni du rapport à l’Histoire et à la mémoire de ses concitoyens ni de la dimension d’incarnation qu’implique toute candidature sérieuse à la fonction présidentielle. Au passage, elle montre aussi qu’elle ne connaît pas grand-chose à l’histoire européenne et à la signification du 11 novembre ! L’évocation étonnante d’un « peuple européen » suffisant à faire état de cette inconscience doublée d’ignorance qui la caractérise.

Plus profondément, les saillies d’Eva Joly risquent de poser un sérieux problème à toute la gauche dans la perspective de 2012. Avoir, pour le candidat du PS, sur son flanc et comme « alliée stratégique », une telle candidate susceptible de porter dans le débat public et demain, qui sait, dans la majorité, de telles propositions, représente un risque à la fois électoral et politique.

La faiblesse de la candidature écologiste et le risque d’un score trop faible au premier tour de la présidentielle limiteront mécaniquement la dynamique possible de la gauche au second. Les sorties navrantes d’Eva Joly ne sont donc pas uniquement le problème des écologistes (et du choix malheureux de leur candidate), elles sont aussi un signal de faiblesse de la gauche face à l’échéance qui l’attend.

Gauche Politique

Laurent Bouvet View All →

Professeur de théorie et d’histoire des idées politiques à l’Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines.

8 commentaires Laisser un commentaire

  1. Ces dites gaffes tombent pourtant à pic ; cela va permettre aux mieux informés de rappeler l’histoire de France. Exemple « Au-delà des réfractaires à la guerre, des dizaines de millions de victimes de cette guerre appartiennent dans l’immense majorité au peuple européen. » ils sont tous tombés pour la France donc appartiennent au peuple européen pour qui ils ont donné leur vie. Mais effectivement, leur descendance n’est aujourd’hui plus forcement européenne. Peut être vous y coller pour une meilleure connaissance de l’histoire puisque vous n’expliquez pas les raisons pour lesquelles ce serait des énormités.

  2. Ne pensez-vous pas que Eva Joly nous rend plutôt un inestimable service en faisant entendre un discours différent du nationalisme et de la xénophobie ambiants? Certains esprits cosmopolites pourront encore se plaindre que le nationalisme européen qu’elle veut faire renaître est encore un nationalisme. Toujours est-il que celles et ceux qui voudrons chercher un « juste milieu » à partir des positions audibles dans le débat public auront à choisir entre autre chose que le nationalisme et le nationalisme.
    Par ailleurs, il aurait été élégant de remplacer la phrase « L’évocation étonnante d’un « peuple européen » suffisant à faire état de cette inconscience doublée d’ignorance qui la caractérise » par un argument. Je n’ai pas lu le discours d’Eva Joly, mais le mouvement pan-européen ne commence-t-il pas justement au lendemain de la Première Guerre Mondiale ? Aristide Briand, qui l’a soutenu, aurait-il péché par manque de patriotisme?

  3. Concernant le « peuple européen », c’est juste qu’il n’existe pas. Il y a des peuples nationaux, des peuples minoritaires… mais de peuple européen point. L’Europe est bien des choses mais certainement pas un peuple. Ce qui pose le problème de son existence politique.
    Quant à l’incompréhension du 11 novembre, de la célébration de la paix, voire du pacifisme, qu’a entraîné sa commémoration à partir de 1922, soit Eva Joly le sait et elle ment pour des raisons de basse politique, soit elle l’ignore et une candidate à la présidente de la République française ne saurait faire de telles erreurs.

  4. Comme mon précédent commentaire n’est pas passé, je vais développer (je voulais le faire ultérieurement).
    En critiquant l’évocation de peuple européen, vous démontrez que vous n’avez pas compris la vision d’une Europe pacifiée et le but de la conservation du 11 Novembre. Car lorsque l’Europe a été créée après guerre, elle visait à la fois à ce qu’il n’y ait plus de conflits tout en assurant une union économique sur des productions essentielles à l’époque, et cela contre l’avis même des peuples, toujours revanchards. Il aurait pu être opportun de supprimer les évocations des conflits mais elles sont l’occasion dans de nombreux pays de rendre hommage aux morts mais surtout de montrer l’horreur de la guerre. Il semble que ce soit oublié. L’évocation d’un peuple européen qui s’est déchiré est bien dans cet esprit.
    En parlant des mutins, souvent faussement accusés, elle rappelle que la guerre, c’est aussi l’injustice, l’aveuglement, le mensonge et pas seulement un héroïsme vain. Nombreux sont les anciens combattants à parler aussi de ces horreurs. J’ai connu personnellement un soldat mort en côte d’Ivoire, pour le maintien de la paix, un gars bien. Je pense ne pas me tromper en pensant qu’il aurait aimé qu’on parle de journée européenne de la paix, surtout qu’il se fouttait bien des défilés, lui aussi, ce truc qui flatte l’égo des puissants.

    Quant au chantage sur le nucléaire, il n’est pas évident pour le pot de terre de lutter contre le pot de fer, surtout quand il est sourd. Alors parfois il faut prendre à témoin l’opinion et sortir la négociation des bureaux feutrés pour la mettre sur la place publique et ainsi provoquer un débat qui est refusé ou ignoré. Le PS, comme l’UMP, a des liens biens connus avec le lobby nucléaire et on peut affirmer que la communication lors de Tchernobyl n’aura pas été beaucoup différente sous un gouvernement Jospin, dont Hollande se veut l’élève. Même si je ne voterai pas forcément Eva Joly, je trouve sa démarche compréhensive et cohérente, même si elle met en danger certains élus EELV actuels.

  5. Eva Joly se trompe peut-être sur l’existence d’un « peuple européen » (qui sans doute n’existe pas!), mais tu oublies de voir qu’il s’agit du credo des Verts européens (il existe ou il va exister). Elle ne rompt pas avec la ligne de son parti (national) ni avec celle de son parti (européen). Elle est, comme Daniel Cohn-Bendit, d’autant plus sensible à cette façon de voir que sa vie s’est déroulée entre deux pays européens. Les électeurs français sont libres d’apprécier (ou non) cette ligne « anti-nationale/iste ». En même temps, la tradition socialiste n’est-elle pas « internationaliste » elle aussi? (Même si elle est très prudemment nationaliste depuis 1914…)

    Ceci étant, comme me le disait un militant vert délégué au Congrès des Verts européens, les difficultés d’accord avec le PS tiennent simplement au fait qu’au sein de la base verte (et des cadres intermédiaires), un accord sans le nucléaire ne passe pas. Donc ce n’est pas E. Joly qui (te) pose problème, mais EE- les Verts.

  6. Certes Christophe mais mon « point » est en-deça de ces considérations, que je reconnais bien volontiers, de congruence entre ce que dit EJ et la ligne du parti – avec toutes les difficultés inhérentes à une campagne de ce type dans un parti comme EELV. Je souligne simplement que tant sur le 11 novembre que sur la négociation avec le PS (et l’élément nucléaire de celle-ci), EJ ne démontre pas qu’elle a saisi ce que signifie être candidate à la présidence de la République française. Il s’agit d’un acte très particulier, qui détache à la fois celui ou celle qui le « fait » de son parti (même si le soutien de celui-ci est indispensable), qui l’autonomise, et doit, normalement, lui donner une nouvelle dimension : celle de l’incarnation (du pays, de son histoire, etc.). Même si cette incarnation peut ensuite se décliner par rapport à ce que l’on représente (autre dimension) : telle ou telle histoire politique spécifique, sensibilité, etc. Ce n’est pas une élection législative ou même européenne.

  7. La vision qui s’exprime derrière cette exigence de ce que _doit_ être l’élection présidentielle est normative, conservatrice et peu démocratique. Qu’elle soit normative et conservatrice, ce n’est pas un problème tant qu’elle ne refuse pas le pluralisme. Or, il n’y a ni une seule façon d’être candidate (sinon pourquoi organiserait-on encore des élections?), ni une seule façon de célébrer (ni, d’ailleurs de le comprendre, comme les historiens le savent) un évènement historique . Quant à l’adéquation de cet « idéal » de présidentiable au temps présent, le résultat des élections l’a déjà infirmée en 2007, avec un gagnant dont la principale qualité n’était peut-être pas d’incarner parfaitement l’histoire du pays. Eva Joly sait qu’elle ne gagnera pas ces élections mais utilise sa candidature pour changer le débat public et en cela, elle nous rend un service inestimable.

  8. L’unité culturelle du peuple européen à travers les millénaires est pourtant frappante lorsqu’on voyage en europe et que l’on écume les musées. Pour moi dernièrement Vienne, Liubjiana et Copenhague.

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